Les É.D.I.T.s [Explications du droit par informations et textes] consistent en notules complétant un cours d'Introduction générale au droit en regard de l’actualité canadienne et québécoise. Ce cours [DRT-1901] est offert à distance par l'Université Laval [http://www.ulaval.ca/].

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Le terme ÉDIT, malgré son caractère vieillot, convient à la double nature de nos messages : procéduraux et substantifs, parfois pointus, destinés, de façon pratique, à faire le lien entre le contenu du cours et l’actualité juridique canadienne et québécoise.
Le terme désignait un acte juridique du droit romain (le préteur annonçait l’organisation du procès dans un édit) ou de l’Ancien Régime (acte législatif portant sur une seule matière, ou une seule catégorie de personnes ou une partie seulement du territoire).
Ce choix évite la confusion avec les termes juridiques modernes : loi, décret, arrêt, décision, etc.

mardi 15 avril 2014

É.D.I.T./79-2014 Détention préventive--Crédit sur sentence--Circonstances particulières

1. Extrait du bulletin de nouvelles de Radio-Canada du 11 avril 2014 :
«Les juges détermineront le crédit pour la détention avant sentence
La Cour suprême du Canada laisse le soin aux juges de déterminer les circonstances permettant à certains prévenus de bénéficier d'un crédit majoré sur la peine pour le temps passé en détention préventive.
La Couronne contestait, dans trois cas, la décision des juges d'accorder le crédit de peine de 1,5 jour par journée de détention préventive.
Le jugement unanime, rendu vendredi par sept juges du plus haut tribunal du pays, stipule que comme la loi ne précise pas les circonstances en question, les juges disposent de toute la latitude voulue pour l'appliquer. La loi ne fait que plafonner le crédit majoré de 1,5 jour par journée de détention préventive.
Les procureurs tentaient de rehausser la barre des circonstances permettant d'accorder ce crédit de peine.
La Cour suprême a ainsi tranché dans le dossier de la Loi sur l'adéquation de la peine et du crime, entrée en vigueur en février en 2010 sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper. Cette loi mettait un terme à la comptabilisation - pratiquement systématique - en double des journées passées en détention préventive.
Votée en octobre 2009, la nouvelle loi prévoit que chaque journée passée en détention préventive correspond désormais à une journée de prison à déduire de la peine une fois l'accusé condamné, sauf si « les circonstances justifient » un crédit majoré.
Le gouvernement fédéral avait voté cette loi pour mettre un terme aux abus des prévenus, qui faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour étirer les procédures pendant qu'ils se trouvaient en détention préventive afin de diminuer autant que possible la durée de leur peine.
Des procédures ont toutefois été intentées pour contester cette disposition de la Loi sur l'adéquation de la peine et du crime.
L'habitude prise par les tribunaux canadiens de compter en double la détention préventive avait été confirmée par le système judiciaire. Elle se voulait une façon de tenir compte de l'absence de programmes de réhabilitation et d'infrastructures au cours de la période de détention qui précède une condamnation.»
2. Précisions juridiques (référence contexte etc)
Il s’agit de la décision R. c. Summers, 2014 CSC 26 (CanLII).
Manchette de Soquij : «Le libellé de l'article 719 (3.1) C.Cr. n’est pas limitatif quant à ce qui peut constituer des «circonstances» justifiant la majoration du crédit pour détention présentencielle.»

3. Commentaires, questions
Il existe trois moyens de réduire un peine d’emprisonnement.
Les plus connus prennent rang durant la détention; ce sont la libération conditionnelle  et la réduction de peine (pour bonne conduite);ce qui les différencie : la réduction, comme son nom l’indique, a un effet sur la
peine légale prévue. La libération n’entraîne aucune diminution de la durée légale de la peine; si le détenu libéré « conditionnellement » ne respecte pas ses conditions, il retourne en prison, l’autre – celui dont la peine a été réduite – reste libre.
Nous avons affaire ici à la troisième voie, celle-ci préventive, qui tient compte du temps de détention avant la sentence. La juge  Karakatsanis de la CSC résume bien l’historique de cette situation dans les 5 premiers paragraphes :
[1]                              Lorsqu’un accusé n’est pas libéré sous caution et qu’il doit rester en prison jusqu’au procès, le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, prévoit que la période passée sous garde est prise en compte dans la détermination de la peine d’emprisonnement.  Un jour passé en prison devrait compter pour un jour d’emprisonnement.
[2]                              Cependant, accorder un crédit d’une seule journée pour chaque jour passé dans un centre de détention préventive suffit rarement à compenser toutes les répercussions de cette détention, sur les plans quantitatif et qualitatif.  On ne tient pas compte du temps passé dans un centre de détention préventive pour déterminer l’admissibilité à la libération conditionnelle, à la réduction méritée de peine ou à la libération d’office, de sorte que le délinquant qui n’est pas libéré sous caution peut finalement passer plus de temps en prison que celui qui l’est.  De plus, les conditions sont particulièrement dures dans les centres de détention préventive, lesquels sont souvent surpeuplés, dangereux et dépourvus de programmes de réinsertion sociale.
[3]                              C’est pourquoi, pendant de nombreuses années, les tribunaux ont souvent accordé un crédit « majoré » de deux jours par jour de détention présentencielle, une mesure approuvée par la Cour dans l’arrêt R. c. Wust, 2000 CSC 18 (CanLII), 2000 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 455.  Lorsque les conditions étaient exceptionnellement difficiles, les tribunaux accordaient 3 jours de crédit ou plus pour chaque jour de détention présentencielle.
[4]                              En 2009, la Loi sur l’adéquation de la peine et du crime, L.C. 2009, ch. 29 (LAPC) a modifié le Code criminel de manière à limiter le crédit accordé à un jour et demi par jour passé sous garde avant la sentence.  L’objectif était de dissuader l’accusé de prolonger la détention préventive, ainsi que d’assurer la transparence vis‑à‑vis du public quant à la juste sanction, au crédit accordé et aux motifs sous‑jacents.
[5]                              Dans le présent pourvoi, la Cour doit interpréter cette modification.  Nul ne conteste que le législateur a ramené le crédit majoré à un jour et demi pour chaque jour passé sous garde.  Or, des tribunaux inférieurs ont rendu des décisions contradictoires sur les conditions auxquelles il peut y avoir crédit « majoré ».
Une fois admis l’argument d’autorité législative sur la règle du 1,5/1, la Cour analyse les «circonstances particulières» et en fait le jardin de sa discrétion (§§ 7, 19 et 32 et ss.) pour éviter de punir davantage le délinquant qui n’a pas été libéré sous caution que celui qui attend son procès à l’air libre.
Véritable leçon d’interprétation, la juge utilisera successivement « (1) le libellé de la disposition, (2) la construction de l’article, (3) l’intention du législateur et (4) l’économie du Code criminel» (§35).
4. Lien avec les modules du cours
--Le droit sentenciel est présenté dans le Module 21 Panorama : Droit criminel et pénal III (Droit des peines et correctionnel).
--Nuance ajouté au Document IGD/60 :
Exception/Cas d'application
«il n’existe pas de règle générale d’interprétation législative selon laquelle les circonstances qui relèvent d’une exception doivent être moins nombreuses que celles qui relèvent de la règle générale.  Si les critères qui permettent de déroger à la règle générale sont respectés, peu importe le nombre d’applications de l’exception par rapport au nombre d’applications de la règle.»
R. c. Summers, 2014 CSC 26 (CanLII) au §45 (J. Karakatsanis)


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Québec, (Québec), Canada
Avocat au Barreau de Québec, Chargé de cours à la Faculté de droit de l'Université Laval