Les É.D.I.T.s [Explications du droit par informations et textes] consistent en notules complétant un cours d'Introduction générale au droit en regard de l’actualité canadienne et québécoise. Ce cours [DRT-1901] est offert à distance par l'Université Laval [http://www.ulaval.ca/].

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Le terme ÉDIT, malgré son caractère vieillot, convient à la double nature de nos messages : procéduraux et substantifs, parfois pointus, destinés, de façon pratique, à faire le lien entre le contenu du cours et l’actualité juridique canadienne et québécoise.
Le terme désignait un acte juridique du droit romain (le préteur annonçait l’organisation du procès dans un édit) ou de l’Ancien Régime (acte législatif portant sur une seule matière, ou une seule catégorie de personnes ou une partie seulement du territoire).
Ce choix évite la confusion avec les termes juridiques modernes : loi, décret, arrêt, décision, etc.

jeudi 30 septembre 2010

É.D.I.T./43-2010 Prostitution--Illégalité de certaines restrictions--Décision Cour ontarienne


1. Extrait du bulletin de nouvelles de Radio-Canada du 29 septembre 2010 :
«La Cour supérieure de l'Ontario invalide certaines dispositions de la loi canadienne qui restreignent la prostitution. Selon la Cour, celles-ci contribuent au danger auquel font face les travailleurs du sexe. On peut lire dans le jugement que ces « lois forcent les prostituées à choisir entre leur liberté et leur droit à la sécurité, tel que garanti par la Charte canadiennes des droits et libertés. »
Ce jugement fait suite à la demande de la dominatrice Terri-Jean Bedford et de deux autres travailleuses du sexe, Valerie Scott et Amy Lebovitch, qui avaient demandé à la Cour de revoir les dispositions du Code criminel relatives à la prostitution.
Les demanderesses affirmaient que l'interdiction de tenir une maison close, de solliciter des clients à des fins de prostitution ou de vivre des fruits de la prostitution forçait les travailleurs du sexe à quitter la sécurité de leur maison pour affronter la violence de la rue. Elles voyaient donc elles aussi ces mesures comme une violation de la Charte des droits et libertés.
En 1994, la police avait fait une descente dans la maison close tenue par Terri-Jean Bedford, qui était située au nord de Toronto. Mme Bedford avait été condamnée en rapport avec ce crime en 1998.
Ce jugement de la Cour supérieure de l'Ontario pourrait maintenant être porté en appel, par le gouvernement fédéral ou le gouvernement ontarien.
La juge Susan Himel a donné 30 jours aux parties pour annoncer leur intention de le faire. Le ministre fédéral de la Justice, Rob Nicholson, a déjà indiqué que le gouvernement songeait sérieusement à porter la cause en appel.
Le gouvernement du Canada s'est engagé à assurer la santé et la sécurité des Canadiens, de même que le mieux-être de nos collectivités. Il se battra pour veiller à ce que le droit pénal continue d'enrayer les torts considérables causés par la prostitution aux collectivités ainsi qu'aux personnes vulnérables
Une victoire
Les travailleuses du sexe impliquées dans la cause se réjouissent évidemment du jugement rendu. Elles sont déjà prêtes à en faire bon usage.
Nous voulons travailler avec les municipalités, nous voulons être de bonnes citoyennes. Il est grand temps que ça se passe ainsi. Enfin nous n'avons plus à nous préoccuper d'être violées, d'être détroussées, d'être tuées. C'est vraiment une victoire incroyable
La prostitution n'est pas illégale
La prostitution n'est pas considérée comme illégale au Canada. Toutefois, tout ce qui s'y rapporte l'est. Cette situation a même été jugée « bizarre » par la Cour suprême du Canada.

2. Précisions juridiques (référence contexte etc.)
Il s'agit de la décision
Bedford v. Canada, 2010 ONSC 4264 (CanLII)
http://www.canlii.org/en/on/onsc/doc/2010/2010onsc4264/2010onsc4264.html
La décision comporte 541 paragraphes et dire qu'on prêche la concision à nos étudiants!
Les trois articles invalidés du Code criminel du Canada entourant la prostitution ont trait à la prohibition de la sollicitation dans un lieu public, à la tenue d'une maison close et à la possibilité de vivre des fruits de la prostitution (aa. 210, 212(1)(j), et 213(1)(c) C.Cr.).

3. Commentaires, questions

3.1Préliminaires
La section VII du jugement porte sur le stare decisis ; la juge fait une revue exemplaire des limites de son pouvoir d’intervenir car elle elle est liée par la jurisprudence antérieure (§§ 63-83)

[66] The Prostitution Reference is prima facie binding on this court.

Puis elle examine à quelle condition elle peut accepter une nouvelle argumentation.

3.2 La question de la prostitution a toujours fait couler beaucoup d’encre au Canada; contrairement à ce que croient la majorité des gens, la prostitution n’est pas illégale, ce qui est criminalisé, ce sont les nombreux aspects périphériques reliés à l’activité : entremetteurs, sollicitation, se trouver dans un lieu etc.

Ce que ce jugement apporte de nouveau, c’est l’angle de la sécurité, garantie par la Charte, pour protéger une activité.
«The Applicants Have Been Deprived of Security of the Person by the Impugned Provisions» [§359]

On peut présumer que les autres «périphériques» criminalisés tomberont sous les mêmes arguments. Le jugement évoque aux §§ 514 et ss. d’autres dispositions non visées par cette décision.

3.3 Tant le fédéral que le gouvernement de l’Ontario peuvent prétendre intervenir a) l’Ontario sur la question d’aller ou non en appel ( les provinces administrent la justice art. 92(14) de la LC de 1867; b) le fédéral en faisant de la prostitution un crime en vertu de son pouvoir de légiférer en droit criminel
art. 91(27) de la LC de 1867.

3.4 Applicabilité au Qc
Nos étudiants sursauteront en lisant dans Le Devoir du 29 septembre 2010 la phrase suivante «Dans sa forme actuelle, le jugement ne touche pas la province de Québec[...]».
Nuançons. Dans la mesure où cette décision porte sur l’interprétation d’une loi fédérale par un tribunal canadien, on ne peut exclure qu’elle soit invoquée devant n’importe quel autre tribunal, y compris au Québec; ce que la journaliste a sans doute voulu dire, c’est que s’agissant d’une décision de première instance, elle ne saurait à elle seule faire jurisprudence en ce sens qu’elle n’est pas obligatoire («binding») tant qu’elle n’est pas confirmée par les tribunaux d’appel et non en raison de la situation juridique du Québec, laquelle est identique à celle des autres provinces dans ce cas.


4. Lien avec les modules du cours La stabilité et la cohérence des décisions des tribunaux est implicitement abordée au module 7 par le biais de la définition de la jurisprudence. La prostitution est examinée au module 19.

La procédure criminelle est présentée au module 20 [en rédaction finale].

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Québec, (Québec), Canada
Avocat au Barreau de Québec, Chargé de cours à la Faculté de droit de l'Université Laval