Les É.D.I.T.s [Explications du droit par informations et textes] consistent en notules complétant un cours d'Introduction générale au droit en regard de l’actualité canadienne et québécoise. Ce cours [DRT-1901] est offert à distance par l'Université Laval [http://www.ulaval.ca/].

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Le terme ÉDIT, malgré son caractère vieillot, convient à la double nature de nos messages : procéduraux et substantifs, parfois pointus, destinés, de façon pratique, à faire le lien entre le contenu du cours et l’actualité juridique canadienne et québécoise.
Le terme désignait un acte juridique du droit romain (le préteur annonçait l’organisation du procès dans un édit) ou de l’Ancien Régime (acte législatif portant sur une seule matière, ou une seule catégorie de personnes ou une partie seulement du territoire).
Ce choix évite la confusion avec les termes juridiques modernes : loi, décret, arrêt, décision, etc.

mardi 11 mai 2010

É.D.I.T./41-2010 Journalisme--Protection des sources--Privilège--Droit criminel


Le 11 mai 2010


1. Extrait du bulletin de nouvelles de Radio-Canada, le 7 mai 2010 :

Une défaite pour la protection des sources

La Cour suprême du Canada somme le quotidien The National Post de remettre à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) un document soumis par une source du journaliste Andrew McIntosh dans le cadre de son enquête sur le « Shawinigate ».

Le quotidien torontois et son ancien journaliste demandaient au plus haut tribunal du pays d'invalider un mandat de perquisition délivré il y a près de dix ans dans ce qui est communément appelé le « Shawinigate ». Ils évoquaient le droit des journalistes à protéger une source confidentielle.

Dans un jugement majoritaire, la Cour conclut cependant que le Post et son journaliste « n'ont pas établi que l'intérêt public à la protection de la ou des sources secrètes l'emporte sur l'intérêt public à la production des éléments de preuve matérielle des crimes reprochés ».

L'histoire au coeur de ce jugement a commencé le 5 avril 2001, lorsqu'une source d'Andrew McIntosh lui a remis un document explosif : une autorisation de prêt émanant de la Banque de développement du Canada (BDC) qui, s'il était authentique, pourrait prouver que l'ancien premier ministre Jean Chrétien se serait placé dans une situation de conflit d'intérêts.

Jugeant la source fiable et crédible, puisqu'il avait eu affaire à lui sur d'autres sujets, M. McIntosh a garanti la confidentialité à la source en question. M. McIntosh a expliqué que sa source lui avait dit que le document lui était parvenu anonymement par courrier et qu'il le lui avait transmis en croyant qu'il était authentique.

La BDC, le cabinet du premier ministre et un avocat de Jean Chrétien ont tous affirmé que le document était falsifié. La BDC a donc porté plainte à la GRC, qui a ouvert une enquête pour fabrication et utilisation de documents bancaires contrefaits.

Elles ont alors demandé au Post et à M. McIntosh de lui remettre les documents en question, puisqu'il s'agit d'éléments de preuves matérielles. La GRC voulait soumettre le document à une analyse en vue d'y prélever éventuellement de l'ADN et des empreintes digitales, qui auraient permis d'identifier « X ».

Le quotidien et son journaliste ont refusé, au motif de protéger leur source. M. McIntosh a indiqué que le document avait été placé dans un endroit sûr et hors des bureaux du quotidien.

La GRC a donc obtenu en juillet 2002 un mandat de perquisition et un ordre d'assistance de la Cour de l'Ontario. Cet ordre obligeait le National Post à fournir de l'aide pour trouver le document.

La Cour supérieure de l'Ontario a invalidé le mandat de perquisition de la GRC en 2004, mais la Cour d'appel de la province est revenue sur cette décision en 2008 et a ressuscité le mandat. Le Post a alors saisi la Cour suprême de l'affaire, qui l'a entendue en mai 2009.

2. Précisions juridiques (référence contexte etc)
Il s'agit de la décision R. c. National Post, 2010 CSC 16,
http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2010/2010csc16/2010csc16.html
La décision comporte 159 paragraphes.

3. Commentaires, questions

Cette décision apporte un démenti à l'idée répandue que les journalistes ont un droit constitutionnel à la protection de leurs sources; certes ils peuvent continuer d'invoquer le privilège de la protection, mais ce privilège cèdera devant une
préoccupation supérieure, comme celle de l'intérêt de la justice.
La garantie de la liberté d’expression n'accorde pas aux journalistes une immunité constitutionnelle contre la divulgation forcée de leur source confidentielle en vertu de l'art. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés; cela dit, le privilège peut être reconnu au cas par cas en tenant compte de 4 éléments qui doivent être prouvés.

[53] Le test ou « critère de Wigmore » comporte quatre volets qui peuvent se résumer comme suit dans le contexte qui nous occupe. Premièrement, les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance que l’identité de l’informateur ne serait pas divulguée. Deuxièmement, le caractère confidentiel doit être essentiel aux rapports dans le cadre desquels la communication est transmise. Troisièmement, les rapports doivent être des rapports qui, dans l’intérêt public, devraient être « entretenus assidûment », adverbe qui évoque l’application constante et la persévérance (selon le New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles (6eéd. 2007), vol. 2, p. 2755, le terme anglais « sedulous[ly] » utilisé par Wigmore signifie : « diligent[ly] . . . deliberately and consciously.”). Enfin, si toutes ces exigences sont remplies, le tribunal doit déterminer si, dans l’affaire qui lui est soumise, l’intérêt public que l’on sert en soustrayant l’identité à la divulgation l’emporte sur l’intérêt public à la découverte de la vérité. Voir Wigmore on Evidence (rév. McNaughton 1961), vol. 8, § 2285[...]
Le 4e critère est ensuite pondéré par la Cour en fonction de sous-critères ;
-- la nature et à la gravité de l’infraction faisant l’objet de l’enquête
-- la valeur probante des éléments qu’on cherche à obtenir
-- l’intérêt public à ce que la promesse de confidentialité faite par un journaliste soit respectée
--le but sous‑jacent de l’enquête est aussi un facteur pertinent.


Les par. 28-34 font une belle analyse et l'éloge d'une presse libre.


4. Lien avec les modules du cours

La communication en général est présentée au module 11; mais cela a peu à voir avec la communication de la preuve et la confidentialité des sources journalistiques.
La Charte canadienne fait l'objet dune mention au module 4 à titre de loi majeure.
Les fouilles et saisies se produisent habituellement dans le cadre d'une procédure criminelle ou pénale en vue de recueillir une preuve (cf module 20, à venir).
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Québec, (Québec), Canada
Avocat au Barreau de Québec, Chargé de cours à la Faculté de droit de l'Université Laval