Les É.D.I.T.s [Explications du droit par informations et textes] consistent en notules complétant un cours d'Introduction générale au droit en regard de l’actualité canadienne et québécoise. Ce cours [DRT-1901] est offert à distance par l'Université Laval [http://www.ulaval.ca/].

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Le terme ÉDIT, malgré son caractère vieillot, convient à la double nature de nos messages : procéduraux et substantifs, parfois pointus, destinés, de façon pratique, à faire le lien entre le contenu du cours et l’actualité juridique canadienne et québécoise.
Le terme désignait un acte juridique du droit romain (le préteur annonçait l’organisation du procès dans un édit) ou de l’Ancien Régime (acte législatif portant sur une seule matière, ou une seule catégorie de personnes ou une partie seulement du territoire).
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vendredi 4 septembre 2009

É.D.I.T./34-2009 Propos haineux et droits de la personne

Le 4 septembre 2009
1. Extrait du journal Le Devoir du 4 septembre 2009:
«La loi sur les propos haineux est jugée anticonstitutionnelle/Stéphane Baillargeon

Un petit trou peut-il venir à bout d'un grand navire? Un jugement du Tribunal canadien des droits de la personne affirme que la Loi canadienne sur les droits de la personne interdisant les propos haineux diffusés sur le Web porte atteinte à la liberté d'expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. Cette décision, bien que liée à un simple tribunal administratif, fournit des armes aux ennemis de la censure, sur Internet ou ailleurs, quitte à laisser les opinions extrêmes en profiter.

La cause tranchée cette semaine à Ottawa faisait suite à une plainte déposée en 2003 par un enquêteur de la Commission canadiennes des droits de la personne, Richard Warman, contre le Torontois Marc Lemire, accusé d'avoir affiché des propos jugés antisémites et homophobes sur le site freedomsite.org, dont il est le webmestre. La grande majorité des propos attaqués étaient tenus par d'autres internautes.

Athanasios Hadjis a conclu mercredi que l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne allait à l'encontre des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés. Le membre (c'est ainsi qu'on désigne le juge de ce tribunal administratif) tire d'affaire Marc Lemire. M. Hadjis refuse de le pénaliser ou de lui ordonner de cesser de publier ses propos.

En fait, le «juge» reconnaît que Marc Lemire a transgressé la section 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en au moins une occasion, en l'occurrence avec un texte intitulé «AIDS Secrets» écrit par un néonazi américain. Ce texte, dit M. Hadjis, contrevenait bel et bien à cet article parce qu'il accusait les homosexuels et les Noirs de répandre «un virus mortel» et de «détruire ainsi les vies d'enfants et d'adultes américains».

Il n'a cependant imposé aucune mesure contre le webmestre parce que l'article de la loi va, selon lui, à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés. Cet article a vu le jour durant les années 1960 afin de lutter contre l'existence des tribunes téléphoniques racistes. Sa portée a par la suite été étendue à Internet. Cependant, il fait depuis quelque temps l'objet de sévères critiques.

La réaction publique à la décision se divise entre ceux qui louent «l'audace» du juge Hadjis et ceux qui qualifient sa décision de scandaleuse. Cette polarisation témoigne de la confusion qui entoure l'éternel débat sur le discours haineux au Canada.

Le militant conservateur Ezra Levant, auteur d'un livre prônant la liberté d'expression, n'a pas caché sa surprise devant cette décision. «C'est la première fois en 32 ans que quelqu'un est acquitté d'accusations liées aux clauses sur la censure de la Loi canadienne sur les droits de la personne», a observé le militant, qui appuie bien sûr M. Lemire. «C'est incroyable! Et le fait que la loi soit jugée inconstitutionnelle a une signification plus grande encore.»

Par contre, ce jugement d'un tribunal administratif n'invalide pas la loi qui a d'ailleurs fait l'objet d'une décision de la Cour suprême il y a 15 ans. «Le membre prend bien soin de dire qu'il ne contredit pas la Cour suprême sur un jugement rendu il y a 15 ans dans l'affaire Taylor, un cas similaire», explique Pierre Bosset, professeur du département des sciences juridiques et de science politique de l'UQAM. Me Bosset est un spécialiste des droits de la personne. «M. Taylor répandait des propos haineux par le téléphone et avait été condamné. Il contestait la constitutionnalité de la loi et le tribunal avait affirmé qu'il y avait bel et bien une atteinte à la liberté d'expression, mais qu'elle était justifiée.»

Le nouveau jugement, d'une instance mineure, s'appuie sur des modifications récentes (1998 et 2001) à la Loi canadienne sur les droits de la personne, explique encore le professeur. D'abord, un amendement a ajouté Internet dans les moyens de communication. Ensuite, et surtout, une modification a introduit la possibilité de condamner les fautifs à des «sanctions pécuniaires». M. Warman réclamait d'ailleurs 7500 $ à M. Lemire.

«Selon le membre du tribunal, ça change la nature de la loi en matière de propagande haineuse, explique le professeur. C'était une mesure civile. C'est devenu quasiment pénal. Il y a un effet intimidant.»

La structure se fissure à peine et l'édifice ne semble pas trop ébranlé. Le professeur Bosset peut d'autant moins prédire les conséquences du jugement que le tribunal administratif ne peut se prononcer sur la constitutionnalité de la loi, une prérogative des tribunaux civils de droit commun.

«Le membre se contente de dire qu'il n'appliquera pas la loi, nuance l'expert. Éventuellement, d'autres jugements, d'autres tribunaux mèneront peut-être vers la Cour suprême. Ça pourrait arriver.»

Le Congrès juif canadien (CJC) a rapidement manifesté le souhait que le jugement de M. Hadjis soit porté en appel. «Nous sommes sérieusement en désaccord avec sa décision de ne pas imposer une ordonnance de cessation et d'abstention», a déclaré Joel Richler, avocat-conseil honoraire du CJC.

Le professeur Bosset relativise alors l'impact de la décision. Il n'est pas plus possible maintenant qu'hier de dire n'importe quoi, n'importe comment, n'importe où. «L'article 13 demeure en vigueur. Une personne qui, de manière intentionnelle, répandrait des propos discriminatoires pourrait être trouvée coupable d'une violation de cet article 13. D'autre part, il reste tout le Code criminel, où on trouve des dispositions concernant la propagande haineuse.»

Bref, le navire ne prend l'eau que par un tout petit trou...»


2. Précisions juridiques (référence contexte etc)
Il s'agit de la décision Warman v. Lemire, 2009 CHRT 26 (version anglaise, traduction à venir)
[http://chrt-tcdp.gc.ca/aspinc/search/vhtml-eng.asp?doid=981&lg=_e&isruling=0]

3. Commentaires questions
Il est abusif de parler d'inconstitutionnalité dans ce contexte car il s'agit d'un cas où la Charte a préséance mais la disposition pourrait s'appliquer dans d'autres cas.
Le Tribunal canadien des droits de la personne est un tribunal administratif fédéral soumis au pouvoir de révision de la Cour fédérale.
Rappel des dimensions civiles vs pénales d'une même situation; la dimension pénale n'a pas été abordée, ici; elle ne serait pas du ressort du TCDP mais d'une cour criminelle de première instance (laquelle varie d'une province à l'autre, conformément aux dispositions de la procédure pénale applicables).


4. Lien avec les modules du cours
Les droits de la personne sont abordés au module 4 et le droit des communications au module 11.

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Québec, (Québec), Canada
Avocat au Barreau de Québec, Chargé de cours à la Faculté de droit de l'Université Laval