Les É.D.I.T.s [Explications du droit par informations et textes] consistent en notules complétant un cours d'Introduction générale au droit en regard de l’actualité canadienne et québécoise. Ce cours [DRT-1901] est offert à distance par l'Université Laval [http://www.ulaval.ca/].

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Le terme ÉDIT, malgré son caractère vieillot, convient à la double nature de nos messages : procéduraux et substantifs, parfois pointus, destinés, de façon pratique, à faire le lien entre le contenu du cours et l’actualité juridique canadienne et québécoise.
Le terme désignait un acte juridique du droit romain (le préteur annonçait l’organisation du procès dans un édit) ou de l’Ancien Régime (acte législatif portant sur une seule matière, ou une seule catégorie de personnes ou une partie seulement du territoire).
Ce choix évite la confusion avec les termes juridiques modernes : loi, décret, arrêt, décision, etc.

jeudi 10 septembre 2009

É.D.I.T./ 35-2009 Procès pénal et criminel (V. Lacroix)

Le 10 septembre 2009

1. Extrait du journal Le Devoir du 10 septembre 2009 :

Affaire Norbourg - Lacroix doit subir son procès criminel/François Desjardins

Frais rasé, bien peigné et vêtu d'un superbe complet à rayures, Vincent Lacroix est revenu hier au Palais de justice de Montréal, où un juge de la Cour supérieure a rejeté sa demande visant à faire annuler son procès criminel.

Mais l'ex-président de Norbourg, qui a souvent surpris ses auditoires dans le passé, a profité de l'occasion pour faire transmettre au juge un message potentiellement lourd de conséquences: son budget d'avocats s'assèche et il entend se défendre seul, comme lors de son procès pénal en 2007.Le procès de M. Lacroix et de cinq coaccusés débutera donc le 14 septembre, avec la sélection du jury. Ils font notamment face à des accusations de fraude, de fabrication de faux documents et de blanchiment d'argent. À lui seul, M. Lacroix fait face à 200 chefs. Le juge Richard Wagner a prévu quatre mois.

Les cinq coaccusés sont Serge Beugré, directeur général de Norbourg; Félicien Souka, spécialiste informatique; Jean Cholette, comptable chez Norbourg; Rémi Deschambault, un comptable qui comptait Norbourg comme client; et Jean Renaud, consultant chez Norbourg pendant un congé sans solde du ministère des Finances.

Au terme d'un procès pénal pour des infractions à la Loi sur les valeurs mobilières du Québec (LVM), M. Lacroix a été reconnu coupable en décembre 2007 d'avoir orchestré un détournement de 115 millions, qui a fait 9200 victimes parmi ses clients. Les accusations portaient sur la manipulation des fonds, la fabrication de faux documents et la diffusion d'informations erronées.

M. Lacroix a d'abord écopé d'une peine de 12 ans, laquelle a été graduellement ramenée à cinq ans moins un jour, le maximum prévu par la LVM. Libéré sous caution, il fait présentement des travaux communautaires.

Deux fois pour les mêmes gestes

Les avocats de M. Lacroix ont fait valoir au juge Wagner qu'un procès criminel le priverait du droit de ne pas être jugé ni puni deux fois pour un même geste. Ce droit est prévu à l'article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Le juge Wagner, dans une décision de 20 pages, a rappelé que la LVM et le Code criminel jouent des rôles distincts.

«La LVM est avant tout une loi réglementaire qui vise à protéger l'investisseur et à régir le système de valeurs mobilières. Elle vise à soutenir la confiance du public et à décourager les comportements délinquants à portée civile et commerciale», a dit le juge Wagner. «Elle fait fonction de prévention beaucoup plus que de répression qui demeure l'apanage du Code criminel.»

Le Code criminel «ratisse plus large», a-t-il répété à plusieurs reprises, et la peine maximale est plus longue, soit 14 ans.

Les avocats de M. Lacroix soutenaient que le juge de la Cour du Québec qui a infligé une peine de 12 ans lors du procès pénal s'est inspiré du Code criminel pour déterminer la peine et a donc «traité les infractions pénales comme si elles étaient commises en vertu du Code criminel».

Aussi, les avocats de M. Lacroix affirmaient qu'il serait jugé deux fois pour les retraits illégaux qu'il a effectués dans l'épargne de ses clients. Ce à quoi le juge Wagner a répondu que le Code criminel «est de portée beaucoup plus générale» et qu'il «vise à sanctionner un comportement moral délinquant» allant bien au-delà des dispositions de la LVM.

«Le requérant doit répondre à des chefs d'accusation au criminel qui n'avaient pas d'équivalent lors de son procès au pénal», a dit le juge.

Se défendre seul, encore

Au terme de la décision, Me Marie-Hélène Giroux s'est levée et a informé le juge du fait qu'elle et son collègue, Me Clemente Monterosso, se sont fait dire par M. Lacroix que leur mandat prendrait fin après la sélection du jury. «C'est une question de budget», a-t-elle dit. Les procureurs de la Couronne entendent contester ce geste. «Le jury va penser quoi?», a demandé un des procureurs, Me Serge Brodeur.

Lors du procès pénal, la défense de M. Lacroix a été lourdement encadrée par le juge Claude Leblond. Ses contre-interrogatoires étaient souvent sinueux, et le juge ne se gênait pas pour l'inviter à reformuler ses questions ou à résumer sa pensée.

Les parties se réunissent de nouveau demain matin, entre autres pour discuter du fait que M. Lacroix entend remercier ses avocats. Le juge Wagner entendra aussi une deuxième requête présentée par l'ancien dirigeant de Norbourg, toujours dans le but de faire annuler le procès du 14 septembre.

Ses avocats estiment que Vincent Lacroix ne pourra avoir droit à un procès juste et équitable en raison du battage médiatique qui a entouré cette affaire, ce qui contreviendrait à ses droits en vertu de la Charte des droits et libertés.

À sa sortie du Palais de justice, M. Lacroix est demeuré impassible. «Pas de commentaires», a-t-il dit doucement, escorté par une armée de gardiens et de Me Giroux. Un taxi l'attendait au coin de la rue, la porte ouverte.


2. Précisions juridiques (référence contexte etc)
Il s'agit de la décision R. c. Lacroix, 2009 QCCS 4004 rendue le 9 septembre 2009
[http://www.jugements.qc.ca/primeur/documents/r_lacroix-09092009.doc].
Elle comprend 109 paragraphes.

Les paragraphes 87 et 88 résument le jugement :

«[...]en poursuivant l'analyse et en identifiant le caractère distinct des infractions, le Tribunal conclut que même si à la source les deux législations réfèrent à un comportement délinquant, qui se matérialise par la transmission d'une information erronée, il s'ensuit que les éléments essentiels de chaque infraction sont distincts et entraînent un fardeau de preuve qui l'est tout autant.
Le Tribunal conclut qu'il n'existe aucun lien juridique suffisant entre les infractions pénales et criminelles.»

3. Commentaires, questions

Il est exceptionnel que l'aspect criminel d'une question survienne chronologiquement après la dimension pénale.
Le juge ne manque pas de le signaler au par. 6
«En l'espèce, le dépôt de plaintes pénales avant celui de plaintes criminelles et la recherche d'une peine d'emprisonnement exemplaire sans précédent en semblable matière ont peut-être réjoui ou rassuré les tenants d'une justice pénale quasi criminelle, mais en ce faisant, ils ont fragilisé les fondements des deux régimes de justice pénale et créé chez le grand public des expectatives exagérées tout en contribuant à la confusion des genres.»

Le par. 52 revient sur la finalité particulière des lois de nature administrative et réglementaire par rapport au droit criminel:

«Le Tribunal est d'avis qu'il s'agit avant tout d'une loi de nature réglementaire [NDLR: Loi sur les valeurs mobilières] qui vise à protéger l'investisseur et régir le système des valeurs mobilières. Elle vise à soutenir la confiance du public et à décourager les comportements délinquants à portée civile et commerciale. Elle fait fonction de prévention beaucoup plus que de répression qui demeure l'apanage du Code criminel.»

et encore le par. 77 :
«Il y a certes des volets de cette législation de nature à créer des sanctions sévères pour prévenir les infractions et assurer le respect de la loi. Cependant, la portée de la législation est beaucoup plus restrictive que les dispositions du Code criminel qui visent à sanctionner un comportement moral délinquant qui englobe et dépasse les situations visées par la Loi sur les valeurs mobilières ou toute législation de même acabit.»

En somme, «les objectifs de la Loi sur les valeurs mobilières sont spécifiques et distincts de ceux du Code criminel même s'ils concernent l'intérêt public. Les objectifs du Code criminel sont beaucoup plus larges, généraux et créent des crimes qui subsistent indépendamment des dispositions pénales de la LVM» (par.107).


4. Lien avec les modules du cours

La distinction entre le droit pénal et le droit criminel est abordée au module 5
et reprise plus en détail au module 19 (à venir).

Les distinction entre réglementer et punir et les aspects substantifs et relatifs à la
preuve sont également abordées au module 5.

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Québec, (Québec), Canada
Avocat au Barreau de Québec, Chargé de cours à la Faculté de droit de l'Université Laval