Les É.D.I.T.s [Explications du droit par informations et textes] consistent en notules complétant un cours d'Introduction générale au droit en regard de l’actualité canadienne et québécoise. Ce cours [DRT-1901] est offert à distance par l'Université Laval [http://www.ulaval.ca/].

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Le terme ÉDIT, malgré son caractère vieillot, convient à la double nature de nos messages : procéduraux et substantifs, parfois pointus, destinés, de façon pratique, à faire le lien entre le contenu du cours et l’actualité juridique canadienne et québécoise.
Le terme désignait un acte juridique du droit romain (le préteur annonçait l’organisation du procès dans un édit) ou de l’Ancien Régime (acte législatif portant sur une seule matière, ou une seule catégorie de personnes ou une partie seulement du territoire).
Ce choix évite la confusion avec les termes juridiques modernes : loi, décret, arrêt, décision, etc.

lundi 29 octobre 2007

É.D.I.T./ 3-2007 Pouvoir fédéral de dépenser et art. 94 de la LC de 1867

1 Extrait du journal Le Devoir du 12 septembre 2007 p.
A1 :
Nouvelle arme du Québec contre Ottawa :Un article oublié de la
Constitution pourrait servir les intérêts québécois/Antoine Robitaille
Québec -- Dans le dossier du pouvoir fédéral de dépenser, Québec
travaille à un nouvel argumentaire dont l'élément clé est un article
«oublié» de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (AANB), l'article
94. Et ce, à l'aube d'une année qui pourrait être fertile en événements
dans ce domaine.


Question essentiellement technique à première vue, le «pouvoir fédéral
de dépenser» est crucial pour la fédération canadienne puisqu'il
détermine rien de moins que l'équilibre entre Ottawa et les provinces en
ce qui a trait au «nerf de la guerre», l'argent. Ce pouvoir de dépenser,
dont Québec a toujours nié la constitutionnalité, autorise en théorie le
fédéral à dépenser dans des champs de compétence des provinces, par
exemple la santé et l'éducation (pensons aux Bourses du millénaire).

Cherchant à sortir des ornières habituelles de ce débat, des experts ont
récemment braqué les projecteurs sur l'article 94 de l'AANB. Toute une
théorie est en train d'être échafaudée à partir de celui-ci, théorie que
le ministre Benoît Pelletier a qualifiée de «très intéressante»
récemment dans un entretien accordé au Devoir.

Que dit l'article 94 exactement? Faisant suite aux fameux articles 91,
92 et 93 du chapitre VI sur le partage des pouvoirs, il a l'air anodin à
première vue. Il stipule que «le Parlement du Canada pourra adopter des
mesures à l'effet de pourvoir à l'uniformité de toutes les lois ou de
parties des lois relatives à la propriété et aux droits civils dans
l'Ontario, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, et de la
procédure dans tous les tribunaux ou aucun des tribunaux de ces trois
provinces». Fait intéressant: le Québec n'y est pas cité. Autrement dit,
le seul article qui dit explicitement que le gouvernement fédéral peut
intervenir dans les champs de compétence provinciaux exclut le Québec,
en raison de sa spécificité en matière de droit civil (les trois autres
relèvent du common law). De plus, on y prévoit que «toute loi du
Parlement du Canada» visant à organiser cette uniformité en matière de
droit privé «n'aura d'effet dans une province qu'après avoir été adoptée
et décrétée par la législature de cette province». Autrement dit, le
consentement de la province est exigé.

«Nous avons là, au coeur de la Constitution, une confirmation de
l'asymétrie», se réjouit M. Pelletier. «Si cette disposition était
interprétée plus libéralement par les tribunaux, elle pourrait permettre
d'autres formes d'asymétrie dans d'autres secteurs de l'unification du
droit privé», a-t-il commenté. «Il reste des analyses juridiques à
mener, mais on examine cependant tout ce qui est faisable avec l'article
94. Ça va de soi», dit-il.

L'article 94 a curieusement fait l'objet de peu d'études. «Essayer de
s'en servir, de le plaider, c'est une bonne idée», croit Henri Brun,
constitutionnaliste de l'université Laval, même s'il craint que la Cour
suprême refusera de se «laisser convaincre».

Alexandre Cloutier, le nouveau critique péquiste en matière de relations
intergouvernementales, qui fait sa thèse de doctorat en droit
constitutionnel sur... le pouvoir de dépenser, voit aussi en l'article
94 un argument à utiliser. «À mon avis, la jurisprudence aurait pu se
développer à partir de l'article 94, mais force est de constater que,
dans l'histoire, cet article a été oublié. Or, il est beaucoup plus
respectueux de l'esprit et de la lettre de la fédération à laquelle les
pères de cette confédération, comme George-Étienne Cartier, ont adhéré»,
explique-t-il.

Actuellement, l'Entente-cadre sur l'Union sociale canadienne est fondée
sur la notion de «pouvoir fédéral de dépenser», ce qui a d'ailleurs
conduit Québec à refuser d'y adhérer, sous Lucien Bouchard. Le pouvoir
fédéral de dépenser n'a aucune assise constitutionnelle, disent en coeur
Benoît Pelletier, Henri Brun et Alexandre Cloutier. Si au moins une
entente sur l'Union sociale s'inspirait de l'esprit de l'article 94, le
Québec pourrait y gagner beaucoup, surtout si on y ajoutait le principe
de la compensation financière («l'opting out»). Chose certaine, cela
réduirait le fossé grandissant entre le fédéralisme légal et le
fédéralisme réel.

Sébastien Proulx, leader de l'ADQ, croit pour sa part qu'il ne faut
toutefois pas voir dans l'article 94 une «formule magique», «c'est un
moyen, c'est tout». «Est-ce encore un ballon de M. Pelletier?»,
ironise-t-il. Il se demande pourquoi l'article 94 n'a pas été plaidé
avant «s'il est si fort», notamment dans la cause sur les congé parentaux.

Contexte historique

Dans les mois qui viennent, des négociations entre Québec et Ottawa et
un jugement de la Cour suprême pourraient venir précipiter les
événements dans le dossier du pouvoir de dépenser. «C'est un contexte
juridique et politique quasiment historique», fait remarquer Alexandre
Cloutier, aussi député de Lac-Saint-Jean.

D'abord, il y aura bientôt deux ans, le 19 décembre 2005, le chef
conservateur Stephen Harper, en termes forts, a dénoncé, au Château
Frontenac, ce «pouvoir de dépenser exorbitant» qui «a donné naissance à
un fédéralisme dominateur, un fédéralisme paternaliste, qui est une
menace sérieuse pour l'avenir de notre fédération». Harper formulait sa
promesse en ces termes: «Nous allons encadrer le pouvoir fédéral de
dépenser, dont ont tellement abusé les libéraux fédéraux.» Mais, depuis
janvier 2006, plus rien. Le gouvernement Harper s'est borné à rappeler
dans les discours du Trône et du budget sa volonté d'encadrer le pouvoir
de dépenser, sans plus.

Jean Charest a eu beau dire, début août, que c'était maintenant «sa
priorité en matière de relations fédérales-provinciales», aucune
rencontre n'est prévue sur le sujet entre Québec et Ottawa pour
l'instant, comme le bureau de Benoît Pelletier, ministre des Affaires
intergouvernementales, l'a confirmé hier. Tout au plus espère-t-on en
tenir une cet automne. Le problème, c'est qu'Ottawa et Québec ne
s'entendent même pas sur ce qu'il faudrait encadrer, reconnaissait le
ministre Pelletier récemment. Sébastien Proulx croit que, dans le
dossier du pouvoir de dépenser, le gouvernement Charest a perdu beaucoup
de crédibilité. Il évoque la possibilité qu'un éventuel gouvernement de
l'ADQ, avec l'accord des deux autres partis en chambre, se rendre à
Ottawa pour négocier cet encadrement. Alexandre Cloutier note pour sa
part que, pour le PQ, «la solution, sur cette question, c'est la
souveraineté».

Par ailleurs, la Cour suprême entendra dans l'année qui vient un
important appel dans l'affaire du Syndicat national des employés de
l'aluminium d'Arvida Inc., qui a contesté devant les tribunaux en 2003
la constitutionnalité de l'utilisation des surplus de l'assurance-emploi
par le gouvernement fédéral. Selon les observateurs, cette cause
pourrait conduire la plus haute cour, en 2008, à clarifier la
jurisprudence sur le pouvoir fédéral de dépenser, ce qu'elle a toujours
hésité à faire puisqu'il s'agit d'une matière politiquement explosive.
Jusqu'à maintenant, la cour a appuyé la théorie du pouvoir de dépenser
dans des «obiter dictum», soit des passages en marge du sujet principal
abordé dans la cause traitée.

***

2 Intérêt juridique
La question du pouvoir fédéral de dépenser est au coeur du contentieux
constitutionnel canadien.
L'article 94 de la Loi constitutionnelle de 1867 (que le journaliste
appelle encore désuètement l'Acte de l'Amérique du Nord britannique
(AANB) porte sur l'uniformisation des lois dans les provinces de Comon law.
Voir la notice dans L'Encyclopédie du Canada
[http://thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=F1ARTF0009001]
et le site web de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada
[http://www.ulcc.ca/fr/us/index.cfm?sec=6].

3 Lien avec les modules

La Loi constitutionnelle de 1867 est présentée au module 4.
La notion de comon law est présentée au module 5.
La dimension constitutionnelle est en filigrane de tous les modules
comme horizon permanent du droit canadien.
La rédaction des lois est obliquement traitée au module 6.
La dimension budgétaire et financière incluant le déséquilibre fiscal
est traitée au module 13.

4 Pour lire davantage sur l'article 94 :
http://www.irpp.org/fr/po/archive/po0307.htm#adam

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Québec, (Québec), Canada
Avocat au Barreau de Québec, Chargé de cours à la Faculté de droit de l'Université Laval