L'É.D.I.T.--Actualité et droit québécois

Les É.D.I.T.s [Explications du droit par informations et textes] consistent en notules complétant un cours d'Introduction générale au droit en regard de l’actualité canadienne et québécoise. Ce cours [DRT-1901] est offert à distance par l'Université Laval [http://www.ulaval.ca/].

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Le terme ÉDIT, malgré son caractère vieillot, convient à la double nature de nos messages : procéduraux et substantifs, parfois pointus, destinés, de façon pratique, à faire le lien entre le contenu du cours et l’actualité juridique canadienne et québécoise.
Le terme désignait un acte juridique du droit romain (le préteur annonçait l’organisation du procès dans un édit) ou de l’Ancien Régime (acte législatif portant sur une seule matière, ou une seule catégorie de personnes ou une partie seulement du territoire).
Ce choix évite la confusion avec les termes juridiques modernes : loi, décret, arrêt, décision, etc.

lundi 23 juin 2014

É.D.I.T./80-2014 Fin de vie--Loi Q--PL 52-2014

Le 23 juin 2014

1. Extrait du bulletin de nouvelles de Radio-Canada du 5 juin 2014
[édité dl]
«Les députés adoptent le projet de loi « Mourir dans la dignité »
C'est maintenant chose faite : l'Assemblée nationale a adopté le projet de loi 52 qui encadre les soins de fin de vie. Les députés l'ont fait dans une proportion de 94 voix contre 22. Il n'y a eu aucune abstention. En raison du caractère délicat de ce projet de loi, le gouvernement Couillard a laissé les députés voter librement, selon leur conscience.
Le dépôt du texte, dès la rentrée parlementaire, avait permis aux parlementaires de reprendre le travail là où il avait été laissé avant le déclenchement des élections, au printemps dernier. Le projet de loi 52 établit notamment les conditions permettant à une personne d'obtenir l'aide médicale à mourir ainsi que les exigences qui doivent être respectées avant qu'un médecin ne puisse l'administrer à un malade.
Le projet de loi sur les soins de fin de vie sera sanctionné vendredi. Et son application se fera au plus tard dans 18 mois. Le premier ministre Philippe Couillard a expliqué qu'on en était aux étapes de la mise en oeuvre, mais que la possibilité de discussions juridiques sur ce projet de loi ne pouvait être écartée.
Un exercice de non-partisanerie. Les échanges qui ont précédé le vote ont été l'occasion de souligner à quel point cet exercice s'était déroulé de manière non partisane et dans le respect des convictions et des valeurs de chacun. Pour le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, le cheminement de tous les parlementaires a été empreint de « rigueur, d'ouverture et de dignité ». Le chef de l'opposition officielle, Stéphane Bédard, était visiblement ému. « Je ne pense pas qu'on aura un moment plus important à vivre au cours de cette législature, ni même au cours de la précédente », a-t-il affirmé avant de remercier sa collègue, la députée de Joliette, Véronique Hivon, coauteure de ce projet de loi avec le ministre Barrette.
« Je suis habitée par un énorme sentiment de gratitude envers la société québécoise », a déclaré Véronique Hivon aux élus qui n'ont pas manqué de l'ovationner, tant au terme de son allocution qu'au moment où elle a voté pour ce projet de loi.
Un travail colossal.Pour la députée Hivon, ce vote est l'aboutissement d'un travail colossal de 4 ans et demi, au coeur duquel s'est tenue une commission spéciale qui a donné l'occasion d'entendre une trentaine d'experts, qui a vu le dépôt de 273 mémoires et qui a permis d'explorer les pratiques à l'oeuvre dans trois pays : la France, les Pays-Bas et la Belgique. Véronique Hivon a expliqué qu'elle avait souhaité que les débats se déroulent comme ils se sont déroulés, c'est-à-dire dans l'enceinte de l'Assemblée nationale, au sein de la population et non, « devant les tribunaux ».
« Ce n'est pas un projet de loi sur l'aide à mourir, mais sur les soins de fin de vie. Il nous permet de tenir compte de chaque personne, de ses choix à elle. On consacre pour la première fois les soins palliatifs dans un projet de loi, on en fait un droit. »
Une question qui ne fait pas l'unanimité. Une vingtaine de députés libéraux étaient contre le projet de loi, dont la ministre des Relations internationales, Christine St-Pierre. S'exprimant avant l'adoption du texte, elle a indiqué que l'Assemblée nationale s'apprêtait à accorder aux médecins le pouvoir de « tuer » des malades. Elle estime que ce projet de loi avalise la pratique de l'euthanasie au Québec sous le prétexte de la compassion envers les malades. Mme St-Pierre a soutenu en outre que ce projet de loi va à l'encontre de la morale et de la vie. Elle redoute « les dérapages » et les « pressions » qui pourraient être exercées sur une personne malade par des membres de sa famille.
À la suite du vote, d'autres voix se sont élevées pour déplorer l'adoption du projet de loi. Pour le président de l'Association des Évêques du Québec, Mgr Pierre-André Fournier, cette aide médicale à mourir se veut une forme déguisée d'euthanasie. « Pour moi, c'est une très grande déception, a déclaré Mgr Fournier. Pas seulement pour moi, mais pour énormément de gens que je rencontre. Ce n'est pas un jour heureux pour le Québec. On établit comme un droit, le droit de demander à quelqu'un de te donner la mort ».
Un continuum de soins. De retour à l'Assemblée nationale, le premier ministre, Philippe Couillard, a salué la manière dont tous les travaux avaient été menés durant les travaux qui ont précédé l'adoption de ce projet de loi. Et il a rappelé que la frontière entre le refus de traitement, auxquels les médecins font face régulièrement « est un concept très voisin de ce qu'on discute », soit les soins de fin de vie.  Pour M. Couillard, il ne faut pas perdre de vue que le projet de loi prévoit un continuum de soins, un terme « un peu technique », reconnaît-il, mais fondamental. Et les soins sont donnés dans la mesure où les ressources financières sont disponibles.
Philippe Couillard a une longue expérience à titre de médecin spécialiste, mais il a tenu à spécifier qu'il parlait avant tout à titre de député de Roberval. Néanmoins, son passé de médecin a enrichi la réflexion qu'il a menée pour conclure qu'il allait voter pour le projet de loi. Car, pour Philippe Couillard, le projet de loi a évolué au point où, dans son état actuel, il tient compte de trois principes fondamentaux, soit le respect de la vie et la spiritualité; la dignité de l'individu et l'autonomie de la personne.
« Il y a un équilibre, selon moi [dans le projet de loi] alors je vote pour », a expliqué le premier ministre. « Jamais un patient ne m'a demandé à mourir. [Mais], des patients me disaient : "Docteur, je ne veux plus avoir mal. Je voudrais dormir". » La députée Véronique Hivon est allée dans le même sens : selon elle, la plus grande balise pour assurer la protection des personnes vulnérables, c'est la force de vivre. Mais même avec cette force, il arrive des moments où la souffrance prend toute la place et alors le sens n'existe plus, a-t-elle décrit, en substance.
« J'ai profondément confiance dans les soignants. Pourquoi s'inquiéterait-on alors qu'on vient mettre des balises encore plus serrées et encadrantes », a-t-elle fait valoir aux élus qui nourrissaient des inquiétudes relativement aux possibles écarts que pourrait entraîner ce projet de loi.
Les parlementaires du Québec ont procédé à un vote nominal et le résultat n'a pas été unanime. Une issue qui était prévisible puisque, lors de l'adoption de principe du projet de loi, en octobre 2013, tous les députés du Parti québécois s'étaient prononcés pour, alors que 25 députés libéraux et un caquiste s'y étaient opposés. Et, face à un débat de société aussi crucial, aussi complexe, il aurait été inquiétant d'en arriver à un vote unanime à l'Assemblée nationale, a déclaré le ministre de la Santé, Gaétan Barrette. « Mais je suis certain que le vote répondra aux aspirations de la population », a-t-il souhaité.
Réaction favorable de la part des établissements. L'Association québécoise d'établissements de santé et de services sociaux (AQESSS) se dit heureuse de l'adoption du projet de loi 52 qui permettra la mise en place de mécanismes et de mesures qui vont faciliter l'accès aux soins palliatifs et de fin de vie. « Le Québec se dote d'une offre de service en soins palliatifs complète et accessible, se réjouit la directrice adjointe de l'AQESSS, Michèle Pelletier. Ce qui nous rassure également, c'est que les demandes d'aide à mourir répondront à des critères bien définis et que chaque situation sera considérée et étudiée comme étant unique. »

2. Précisions juridiques (référence contexte etc)
Il s’agit du Projet de loi n°52 : Loi concernant les soins de fin de vie, LQ 2014, c. 2, sanctionné le 10 juin 2014; l’entrée en vigueur est complexe :
«78. À l’exception des dispositions du deuxième alinéa de l’article 52, de
l’article 57, de l’article 58 dans la mesure où elles concernent le registre des directives médicales anticipées et de celles des articles 63 et 64, qui entreront en vigueur à la date ou aux dates déterminées par le gouvernement, les dispositions de la présente loi entreront en vigueur au plus tard le 10 décembre 2015, ou à toute date antérieure fixée par le gouvernement.

3. Commentaires, questions
3.1 La loi instaure  un nouveau cadre juridique permettant aux personnes mourantes de décider du moment et du lieu de leur mort et pour protéger les personnes vulnérables.
Le projet fait suite au  Rapport de la Commission spéciale de l’Assemblée nationale :  Mourir dans la dignité--Rapport de la Commission spéciale

3.2 Pour éviter de s’aventurer en terrain miné vu l’a. 241b) CCR qui interdit d'aider une personne à mourir, le Gouvernement avait pris soin de demander un avis complémentaire : Rapport du Comité de juristes experts (450 pages). Résumé :  Mourir dans la dignité--Résumé du rapport des experts.
3.3 C’est finalement sur le terrain constitutionnel que se décidera le sort de cette nouvelle loi; verra-t-on la belle collaboration du renvoi sur les valeurs mobilières s’appliquer ici? cf.
«Mourir dans la dignité - Faire indirectement ce qu'on ne peut faire directement» Le Devoir 2012 03 28 David Robitaille - Professeur de droit constitutionnel à l'Université d'Ottawa cf. É.D.I.T./56-2011 Valeurs mobilières--Commission fédérale--Invalidité, sur la décision 2011 CSC 66, dont les §§ Les §§ 54 à 62  offrent un aperçu historique éclairant du principe du fédéralisme; la Cour énonce la philosophie qui devrait encadrer la collaboration aux § 132 et 133.

3.3 Directives médicales anticipées (aa. 51-64)
Extrait des note explicatives: « La loi met en place le régime des directives médicales anticipées. Elle précise notamment les exigences à respecter pour
que ces directives aient une valeur contraignante.»
La loi créée un nouveau droit de contrôler la nature et l’intensité des soins de  fin de vie en consignant à l’avance sur un formulaire gouvernemental les soins qu’elle autorise ou refuse en cas d’inconscience ou d’inaptitude. Ce contrôle diffère du testament biologique, qui n’a qu’une valeur informative et non contraignante pour la famille ou l’équipe médicale. La nouvelle procédure permet de limiter les excès de soins dans la dernière partie de sa vie.
Remarque : le patient québécois peut déjà refuser tout soin médical même si ce choix provoque son décès à court terme mais il doit être conscient et apte à décider. Lorsque le patient est inconscient ou inapte par suite d’un accident ou d’une maladie, ce droit ne peut pas être exercé. [version éditée  d’un article de Pierre Reid sur les aspects méconnus (le Devoir 21 janvier 2014)]
D’où l’intérêt du nouveau régime.

4. Lien avec les modules du cours
Ces questions sont étudiées au Module 12.   
Voir le Document IGD/109 - Euthanasie et suicide assisté : revue des arguments.
Pour un rappel du partage des compétences constitutionnelles en santé voir La santé et le partage des compétences au Canada/ André Braën.--Commission sur l'avenir des soins de santé au Canada, étude No 2, juillet 2002.
Sur la première version du projet de loi, voir l’É.D.I.T./74-2013--Mourir dans la dignité/Soins de fin de vie--PL 52-2013.

mardi 15 avril 2014

É.D.I.T./79-2014 Détention préventive--Crédit sur sentence--Circonstances particulières

1. Extrait du bulletin de nouvelles de Radio-Canada du 11 avril 2014 :
«Les juges détermineront le crédit pour la détention avant sentence
La Cour suprême du Canada laisse le soin aux juges de déterminer les circonstances permettant à certains prévenus de bénéficier d'un crédit majoré sur la peine pour le temps passé en détention préventive.
La Couronne contestait, dans trois cas, la décision des juges d'accorder le crédit de peine de 1,5 jour par journée de détention préventive.
Le jugement unanime, rendu vendredi par sept juges du plus haut tribunal du pays, stipule que comme la loi ne précise pas les circonstances en question, les juges disposent de toute la latitude voulue pour l'appliquer. La loi ne fait que plafonner le crédit majoré de 1,5 jour par journée de détention préventive.
Les procureurs tentaient de rehausser la barre des circonstances permettant d'accorder ce crédit de peine.
La Cour suprême a ainsi tranché dans le dossier de la Loi sur l'adéquation de la peine et du crime, entrée en vigueur en février en 2010 sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper. Cette loi mettait un terme à la comptabilisation - pratiquement systématique - en double des journées passées en détention préventive.
Votée en octobre 2009, la nouvelle loi prévoit que chaque journée passée en détention préventive correspond désormais à une journée de prison à déduire de la peine une fois l'accusé condamné, sauf si « les circonstances justifient » un crédit majoré.
Le gouvernement fédéral avait voté cette loi pour mettre un terme aux abus des prévenus, qui faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour étirer les procédures pendant qu'ils se trouvaient en détention préventive afin de diminuer autant que possible la durée de leur peine.
Des procédures ont toutefois été intentées pour contester cette disposition de la Loi sur l'adéquation de la peine et du crime.
L'habitude prise par les tribunaux canadiens de compter en double la détention préventive avait été confirmée par le système judiciaire. Elle se voulait une façon de tenir compte de l'absence de programmes de réhabilitation et d'infrastructures au cours de la période de détention qui précède une condamnation.»
2. Précisions juridiques (référence contexte etc)
Il s’agit de la décision R. c. Summers, 2014 CSC 26 (CanLII).
Manchette de Soquij : «Le libellé de l'article 719 (3.1) C.Cr. n’est pas limitatif quant à ce qui peut constituer des «circonstances» justifiant la majoration du crédit pour détention présentencielle.»

3. Commentaires, questions
Il existe trois moyens de réduire un peine d’emprisonnement.
Les plus connus prennent rang durant la détention; ce sont la libération conditionnelle  et la réduction de peine (pour bonne conduite);ce qui les différencie : la réduction, comme son nom l’indique, a un effet sur la
peine légale prévue. La libération n’entraîne aucune diminution de la durée légale de la peine; si le détenu libéré « conditionnellement » ne respecte pas ses conditions, il retourne en prison, l’autre – celui dont la peine a été réduite – reste libre.
Nous avons affaire ici à la troisième voie, celle-ci préventive, qui tient compte du temps de détention avant la sentence. La juge  Karakatsanis de la CSC résume bien l’historique de cette situation dans les 5 premiers paragraphes :
[1]                              Lorsqu’un accusé n’est pas libéré sous caution et qu’il doit rester en prison jusqu’au procès, le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, prévoit que la période passée sous garde est prise en compte dans la détermination de la peine d’emprisonnement.  Un jour passé en prison devrait compter pour un jour d’emprisonnement.
[2]                              Cependant, accorder un crédit d’une seule journée pour chaque jour passé dans un centre de détention préventive suffit rarement à compenser toutes les répercussions de cette détention, sur les plans quantitatif et qualitatif.  On ne tient pas compte du temps passé dans un centre de détention préventive pour déterminer l’admissibilité à la libération conditionnelle, à la réduction méritée de peine ou à la libération d’office, de sorte que le délinquant qui n’est pas libéré sous caution peut finalement passer plus de temps en prison que celui qui l’est.  De plus, les conditions sont particulièrement dures dans les centres de détention préventive, lesquels sont souvent surpeuplés, dangereux et dépourvus de programmes de réinsertion sociale.
[3]                              C’est pourquoi, pendant de nombreuses années, les tribunaux ont souvent accordé un crédit « majoré » de deux jours par jour de détention présentencielle, une mesure approuvée par la Cour dans l’arrêt R. c. Wust, 2000 CSC 18 (CanLII), 2000 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 455.  Lorsque les conditions étaient exceptionnellement difficiles, les tribunaux accordaient 3 jours de crédit ou plus pour chaque jour de détention présentencielle.
[4]                              En 2009, la Loi sur l’adéquation de la peine et du crime, L.C. 2009, ch. 29 (LAPC) a modifié le Code criminel de manière à limiter le crédit accordé à un jour et demi par jour passé sous garde avant la sentence.  L’objectif était de dissuader l’accusé de prolonger la détention préventive, ainsi que d’assurer la transparence vis‑à‑vis du public quant à la juste sanction, au crédit accordé et aux motifs sous‑jacents.
[5]                              Dans le présent pourvoi, la Cour doit interpréter cette modification.  Nul ne conteste que le législateur a ramené le crédit majoré à un jour et demi pour chaque jour passé sous garde.  Or, des tribunaux inférieurs ont rendu des décisions contradictoires sur les conditions auxquelles il peut y avoir crédit « majoré ».
Une fois admis l’argument d’autorité législative sur la règle du 1,5/1, la Cour analyse les «circonstances particulières» et en fait le jardin de sa discrétion (§§ 7, 19 et 32 et ss.) pour éviter de punir davantage le délinquant qui n’a pas été libéré sous caution que celui qui attend son procès à l’air libre.
Véritable leçon d’interprétation, la juge utilisera successivement « (1) le libellé de la disposition, (2) la construction de l’article, (3) l’intention du législateur et (4) l’économie du Code criminel» (§35).
4. Lien avec les modules du cours
--Le droit sentenciel est présenté dans le Module 21 Panorama : Droit criminel et pénal III (Droit des peines et correctionnel).
--Nuance ajouté au Document IGD/60 :
Exception/Cas d'application
«il n’existe pas de règle générale d’interprétation législative selon laquelle les circonstances qui relèvent d’une exception doivent être moins nombreuses que celles qui relèvent de la règle générale.  Si les critères qui permettent de déroger à la règle générale sont respectés, peu importe le nombre d’applications de l’exception par rapport au nombre d’applications de la règle.»
R. c. Summers, 2014 CSC 26 (CanLII) au §45 (J. Karakatsanis)


vendredi 27 décembre 2013

É.D.I.T./78-2013 Droit d'auteur et plagiat (affaire Robinson)--CSC

Le 27 décembre 2013


1. Extrait du bulletin de nouvelles de Radio-Canada du 23 décembre 2013 : «Claude Robinson obtient gain de cause, mais pas tout son argent.
Au terme d'une saga judiciaire de 18 ans, la Cour suprême du Canada confirme le plagiat de l'œuvre du dessinateur Claude Robinson et rétablit en partie les dommages et intérêts qui lui ont été accordés en première instance.
Dans son jugement, le plus haut tribunal du pays confirme tout d'abord les décisions antérieures de la Cour supérieure du Québec et de la Cour d'appel qui ont statué que la firme Cinar et ses associés ont bel et bien plagié le dessin animé de Claude Robinson, intitulé Les aventures de Robinson Curiosité.


Les maisons de production maintenaient pour leur part qu'elles n'ont pas plagié l'oeuvre de Claude Robinson et que les tribunaux inférieurs n'auraient jamais dû se baser sur des témoignages d'experts dans cette affaire pour déterminer s'il y avait eu oui ou non plagiat. Cinar et ses associés contestaient en fait la façon dont les tribunaux s'y sont pris pour déterminer ce qui constituait un plagiat dans cette affaire.
Outre Cinar et leurs propriétaires, Ronald Weinberg et feu Micheline Charest, plusieurs firmes étaient impliquées dans cette poursuite, dont France Animation, Ravensburger Film, RTV Family Entertainment, Izard France Animation, Davin et France Animation S.A.


Plus de 4 millions de dollars de dommages et intérêts
En ce qui a trait aux dommages et intérêts dans cette affaire, la Cour suprême du Canada accorde à Claude Robinson environ 4,4 millions de dollars qui se déclinent comme suit :
400 000 $ de dommages moraux;600 000 $ de droits d'auteurs;500 000
de dommages punitifs;1,4 million de dollars pour les profits de la trame sonore de Robinson Curiosité;1,5 million de dollars de frais extrajudiciaires;
S'ajoutent à tout cela les dépenses (frais de photocopies, documents, recherche, etc.) qui pourraient s'élever à plusieurs dizaines de milliers de dollars.
Précisions cependant que les frais judiciaires encourus par Claude Robinson en Cour d'appel et en Cour suprême ne lui seront pas remboursés.


Claude Robinson n'est pas au bout de ses peines
Malgré cette victoire devant la Cour suprême, Claude Robinson devra travailler encore pour récupérer les sommes qui lui sont accordées par la justice. En effet, le plus haut tribunal du pays ne condamne pas solidairement les coupables dans cette affaire pour les 500 000 $ de dommages punitifs et les 1,4 million de profits sur la trame sonore.


Cela signifie qu'en cas de faillite ou d'insolvabilité des firmes condamnées à payer des dommages, leurs associés ne pourront être obligés de payer M. Robinson à leur place. Ce qui signifie aussi que c'est Claude Robinson lui-même qui devra s'occuper de percevoir ces importantes sommes auprès de ses adversaires.
De plus, plusieurs des firmes partenaires de Cinar visées par ce jugement sont basées en Europe, ce qui complique davantage les choses pour Claude Robinson.
Rappelons que M. Robinson n'a pas encore touché un sou dans cette affaire. À la suite du jugement de la Cour d'appel, en juillet 2011, les sommes qui devaient lui être versées ont été déposées dans un compte en fidéicommis, en attendant le jugement de la Cour suprême.
La cause de Claude Robinson a été grandement médiatisée au Québec. Un mouvement de soutien populaire à son égard avait d'ailleurs permis d'amasser des fonds pour lui venir en aide.


18 années et trois tribunaux plus tard
Cette saga judiciaire entre l'auteur dessinateur Claude Robinson et Cinar a commencé en 1996, lorsque Claude Robinson a accusé Micheline Charest et Ronald Weinberg, avec qui il avait travaillé par le passé, d'avoir plagié son dessin animé Robinson Curiosité.
Selon Claude Robinson, les propriétaires de Cinar avaient repris l'ensemble de son concept dans une série de dessins animés similaires intitulée Robinson Sucroé.
Il s'en est suivi une longue série de poursuites et de démêlés judiciaires devant les tribunaux pour la reconnaissance des droits d'auteurs de Claude Robinson qui a consacré plus de 18 ans de sa vie pour obtenir justice dans cette affaire.
En août 2009, Claude Robinson avait obtenu 5,2 millions de dollars de dédommagement en Cour supérieure du Québec qui reconnaissait par ailleurs que Cinar et ses partenaires avaient bel et bien plagié l'oeuvre de Claude Robinson. La cause avait été aussitôt portée en appel par Cinar et ses partenaires.
Deux ans plus tard, la Cour d'appel avait elle aussi confirmé le plagiat, mais avait réduit à 2,7 millions de dollars le montant accordé à Claude Robinson.
L'auteur avait alors déclaré que cette somme ne lui permettrait même pas de couvrir ses frais juridiques alors que les maisons de production avaient selon lui abusé de leur pouvoir, puisque leurs frais juridiques sont payés par leurs assurances, alors que lui doit assumer seul les sienLors de telles poursuites, la loi canadienne ne permet pas aux particuliers de déduire leurs frais judiciaires de leurs impôts tandis que les entreprises, elles, ont le droit de le faire, ce qui ramène à l'avant-scène la question de l'accès à la justice pour les citoyens au pays. »



2. Précisions juridiques (référence contexte etc)
Il s’agit de la décision Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, rendue le 23 décembre 2013.


3. Commentaires, questions
Cette saga judiciaire va passer à l’histoire autant pour son interprétation
libérale du droit d’auteur que pour illustrer la difficulté pour un justiciable solitaire de vaincre les «Goliath» de l’entreprise.
L’immense combat pour la justice demeure entier; si on veut que le système garde son utilité il faudra que les modalités de réalisation/exécution du jugement soient prises en compte dès le début.
En d’autres termes l’avenir de la procédure civile tient peut-être dans des mesures conservatoires efficaces, immédiates et prédominantes sur les échappatoires dont disposent les récalcitrants résumées dans les trois F
(faillite, fiscalité, fraude) et que trois nouveaux F les remplacent : Facilité,
Finalité, Finesse.



 4. Lien avec les modules du cours
La propriété intellectuelle est globalement présentée au Module 4 et étudiée dans ses déclinaisons dans d'autres modules.
Le doit d'auteur en particulier est abordé au Module 10.
L’É.D.I.T./32-2009 Droit d'auteur et plagiat (affaire Robinson) porte sur la décision de 1ère instance : Robinson c. Films Cinar inc., 2009 QCCS 3793 (CanLII)

vendredi 20 décembre 2013

É.D.I.T./77-2013 Prostitution--Illégalité de certaines restrictions (CSC)

Le 20 décembre 2013

1. Extrait du bulletin du journal Le Devoir (site web) du 20 décembre 2013:
«Les bordels, les proxénètes et la sollicitation ne devraient pas être interdits
Les neuf juges du plus haut tribunal du pays concluent que d'interdire aux femmes de tenir des maisons closes, d'embaucher des employés pour les protéger et d'aborder les clients pour en vérifier la fiabilité met la sécurité des prostituées en danger.
Les bordels, les proxénètes et la sollicitation ne devraient pas être interdits, vient de déclarer la Cour suprême dans un jugement unanime explosif qui fait voler en éclats le régime légal encadrant la prostitution au Canada. Les neuf juges du plus haut tribunal du pays concluent que d'interdire aux femmes de tenir des maisons closes, d'embaucher des employés pour les protéger et d'aborder les clients pour en vérifier la fiabilité met la sécurité des prostituées en danger.
C'est donc une violation de leurs droits tels que garantis par la Charte des droits et libertés. La cause avait été pilotée par la dominatrice Terri Jean Bedford, rendue populaire par ses apparitions publiques cravache en main.
Ottawa à un an pour adopter de nouvelles lois. D'ici là, celles qui existent demeurent en vigueur.»

2. Précisions juridiques (référence contexte etc)
Il s’agit de la décision Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, rendu le 20 décembre 2013.
Unanime, 169 paragraphes. L’article 210 et les al. 212(1)j) et 213(1)c) du Code criminel sont déclarés incompatibles avec la Charte.
Effet suspendu 1 an pour permettre au législateur d’ajuster la législation si jugé à propos.

Extrait de la table des matières du jugement :

3. Commentaires, questions
Ce jugement rétablit  entièrement le jugement de 1ère instance que la cour d’appel de l’Ontario avait modifiée en partie.

 4. Lien avec les modules du cours
La Charte  est présentée au Module 4.
La prostitution objet du droit pénal est discutée au Module 19.


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Québec, (Québec), Canada
Avocat au Barreau de Québec, Chargé de cours à la Faculté de droit de l'Université Laval